« Fallait pas ouvrir la boîte », une œuvre rock faite par un Camerounais. Avant d’appuyer sur play, je marque une pause pour vous dire que ça n’a certainement rien à voir avec ce que vous avez écouté récemment, et c’est également le cas pour moi. Dans un univers africain où l’Afrobeat règne sur le trône des charts, comment penser qu’une place pourrait se faire dans le royaume de l’écoute pour du rock ? Oui, du rock camerounais… J’ai assisté à la release party du nouveau projet de l’artiste Nassir Kelian et je vous propose ce que j’ai vu, entendu et ressenti, en toute « subjectivité » de mélomane.
Avant la découverte, la traversée
C’était une invitation qui tranchait avec l’ordinaire. Pour la release party de son nouvel album, Nassir Kelian invitait les hommes de médias dans un lieu unique : le Domaine Ngwessesso. Embarqués dans des bus affrétés à notre intention, mes confrères et moi faisons la traversée du pont du Wouri pour rejoindre l’arrondissement de Dibombari. L’ambiance est conviviale entre hommes de culture, et ça parle de rock.
Est-ce un choix cohérent pour le public camerounais ? Pourquoi l’artiste, qui a signé une dizaine de disques d’or sur des titres à succès du rap français, change-t-il à ce point de registre ? Né à Montréal, fils du Cameroun et de la Côte d’Ivoire, Nassir connaît l’universalité de son art. Il y a caracolé en France où il est devenu ingénieur du son et compositeur. Dinos, Ninho, Tiakola ont posé sur son « doigté » (ou : sous sa direction / avec ses compositions). Mais il n’a pas choisi la même voie (le rap) pour poser sa voix ; pourquoi ?
Comme nos interrogations, les embûches sur le parcours étaient nombreuses. La qualité de la route, qui laissait à désirer, nous fit faire quelques arrêts imprévus. Et au moment où notre bonne humeur menaçait d’être altérée par ces aléas du parcours, s’ouvrirent les portes du Domaine Ngwessesso. La beauté du lieu venait rompre avec le chaos routier. Bienvenue au paradis !
L’expérience conviviale, le moment musical
L’artiste nous a invités « à la maison ». Le domaine appartient à ses parents et est ouvert aux visiteurs depuis 3 ans. Elle nous attend devant la gigantesque porte d’entrée avec un sourire semblable : la mère et manager de l’artiste. Le temps de découvrir le lieu, qui est en lui-même une œuvre d’art, que nous voici dans la salle de spectacle. « Une boîte » au décor assombri pour mieux flirter avec le style de Nassir Kelian. C’est dark, mais il s’en dégage la lumière de la découverte, entraînée par les premiers sons du band résonnant. La présentation de l’univers de l’artiste et d’où lui vient ce « désir de rock » nous rappelle qu’on a tous eu cette phase rock. Pour ma part : Evanescence, Avril Lavigne, Kyo… Qu’est-ce que ça donne à la sauce camer ?
Nassir, rock star
Sous nos acclamations, voici que l’artiste fait son entrée. Un sandja noir, des bottes et des perles de cauris sur le cou ; vous avez dit original ? Le public, globalement acquis à sa cause, n’a pas besoin d’être chauffé plus que ça. Dès les premières notes et surtout les premières paroles, il se laisse entraîner. Le texte a la profondeur de la tristesse ; on s’y accroche quand on l’a déjà ressentie.
Le rock a cela de paradoxal : le bruit du son affronte le silence de la réalité dite. On parle d’amour, de déception, de « Rage », un des titres qui m’accroche pour ses textes. J’ai retrouvé la même pertinence dans des titres comme « Touch » en collaboration avec DJ Raj. À ce moment-là, le rock se mêle à de la house. Un mélange paradoxal entre le « dansant » et le « mélancolique ». Et c’est peut-être, ou certainement, ça le secret du rock, du moins celui dans lequel je me reconnais : sauter, bouger sur sa tristesse et son propre chaos.
« C’est parce que je t’aime que j’ai mal, pour guérir je dois quitter le mal. » L’artiste parle de lui, de ses tourments de solitude, d’incompréhension, qui sont aussi les nôtres parfois. Les titres « Equalizer » et « Déconnecté » nous confirment qu’on se connecte à sa façon de voir, de penser.
« Muna Sawa », la surprise du chef
« Fallait pas ouvrir la boîte » se déguste bien ! Le plat de résistance était la surprise du chef. Lors de ce mini-concert qui nous est offert, entre questions et échanges, se glisse le titre « Muna Sawa ». Nassir nous parle de ses origines qu’il porte bien sur lui ce soir. Voilà que vient le titre « Muna Sawa » qui va cimenter son identité. À ce moment-là, la guitare électrique semble boucler (ou : reprendre) un air makossa inachevé. C’est le titre clé ! Tout le public est debout et reprend en chœur le refrain : « On va doucement se gâter ».
Comme une petite épice locale qui vient du coup donner la réponse aux questions qu’on se posait, comme je vous l’ai énoncé plus haut. Ceux qui étaient à la traîne dans cette vague rock se laissent alors voguer sur le flot des eaux du « Muna Sawa ». Définitivement, c’était une vague de fraîcheur, une brise de nouveauté. C’est le deuxieme album autoproduit par Nassirkelian via son label ARKAN . Ça n’a rien à voir avec ce que vous avez récemment écouté, mais vous allez aimer. C’était une très bonne idée d’ouvrir la boîte.
Aimée Catherine Moukouri