Dans une tribune publiée sur Facebook, le réalisateur de renom annonce les couleurs du combat à l’issue de la publication des résultats de la présidentielle, précisément ce jeudi 23 octobre. Lisons.
QUE CELUI QUI VEUT LUTTER, TAPE ICI
La bagarre qui s’annonce au Cameroun entre Paul Biya et Issa Tchiroma me renvoie à mon enfance, à l’école primaire. J’ai fait toute ma scolarité de la SIL au CM2 à l’école principale de Nkoldongo. Mon père tenait à ce que nous passions par cette école : son propre père, notre grand-père, Mba Joseph, en fut le premier directeur camerounais avant l’indépendance. L’Ecole Publique de Nkoldongo a formé des générations entières ; mais sa cour qui était un terrain de football a formé les grands footballeurs de l’époque, quand Atangana Louis Dégonzagues organisait les championnats de vacances, le mongo football, et faisait jouer les filles.
La récréation dans cette cour était un monde en soi. Ceux qui avaient des moyens sortaient acheter un pain chargé chez Guy Marcel ; les autres se contentaient des beignets, des caramels ou des croquettes vendus par des femmes installées dans un coin de la cour, une cour qui tenait lieu de grand terrain de football pour tous, où des dizaines de ballons et plusieurs équipes se partageaient l’espace le temps de la récréation .
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À l’époque, les beignets coûtaient cinq à cinq francs ; si tu avais de quoi t’en acheter , tu te retrouvais assailli par des dizaines d’enfants qui te suppliaient d’en donner un. Pour ne pas partager , certains crachaient dans les beignets, méthode dissuasive qui ne décourageait certains d’autres prenaient la fuite ; les coriaces, sprintaient derrière toi. Et la tu tendais un beignet à l’un des poursuivants en disant « partagez » : aussitôt, les autres lâchaient la poursuite pour se jeter sur celui qui avait reçu le lot.
Quand deux gamins avaient un différent à l’école, l’un lançait parfois un défi : « Attends-moi à 5h. » Dès que la sonnerie retentissait, toute la classe courait en criant derrière l’école, à l’abri des regards des maîtres, vers un espace qui faisait office de ring. On formait un cercle, on se répartissait entre supporters et spectateurs. Souvent, avant que ça commence, quelqu’un tendait la main en criant : « Celui qui veut lutter, tape ici ! » Chacun frappait la main, les deux protagonistes se plaçaient au centre, et la bagarre commençait .
Tout dans cette histoire ressemble à ce que nous allons vivre après cette élection disputée. Dans l’esprit de Nkoldongo, la bagarre que vous les camerounais vous êtes en train de commencer — vous l’avez voulu, vous l’avez appelée — nous ne vous en empêcherons pas. Assumez-en toutes les conséquences — pas seulement les victoires d’un jour, mais les dégâts sur des vies, des familles, et sur l’histoire du pays. À Nkoldongo, on se mesurait dans la cour; ici, prenez garde : les coups que vous porterez se compteront en blessures et en cicatrices devant l’Histoire .
Jean Pierre Bekolo