En mai 2025, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Pablo Picasso, l’ambassade d’Espagne au Cameroun a organisé une Semaine Culturelle dédiée au maître du cubisme.
Elsa Daniele Monti
Mais à Yaoundé, ce n’est pas une commémoration classique qui s’est tenue : c’était un dialogue esthétique et politique, un moment de réappropriation artistique, où les artistes camerounais ont revisité Picasso avec audace — et avec mémoire.
De l’hommage à la réinterprétation
Loin d’une simple célébration figée dans le marbre des musées, l’événement a donné lieu à une exposition audacieuse : “Picasso vu d’Afrique”, où plusieurs plasticiens camerounais ont livré leur propre lecture du génie espagnol. L’ironie n’échappe à personne : une grande partie des formes cubistes popularisées par Picasso était directement inspirée de l’art africain, notamment des masques traditionnels.
Sur les cimaises de l’Institut français de Yaoundé, on a pu admirer des masques Fang déconstruits à la manière cubiste, des portraits de femmes beti transformés en figures éclatées, des sculptures de bois aux lignes angulaires qui rappellent autant l’époque bleue que les rituels ancestraux. Ces œuvres n’étaient pas de simples hommages, mais des actes artistiques puissants, porteurs d’une parole affirmée : “Nous étions là. Et nous sommes encore là.”
Quand l’art devient acte de mémoire
La Semaine Culturelle n’a pas seulement salué la mémoire d’un génie occidental. Elle a ouvert une brèche dans l’histoire officielle de l’art, rappelant combien les avant-gardes européennes du XXe siècle se sont nourries, souvent sans crédit, de la richesse des arts africains.
Pour de nombreux artistes camerounais, participer à cet événement relevait d’un devoir symbolique : reprendre leur place dans un récit trop longtemps raconté sans eux. Comme l’a déclaré un jeune peintre exposé : « Picasso s’est nourri de nos formes, de nos masques, de nos croyances. À nous maintenant de dire ce que nous voyons en lui. »
Ce renversement de regard marque un tournant dans les relations culturelles internationales : l’Afrique n’est plus seulement un territoire d’inspiration. Elle devient un espace d’interprétation, de réponse et de création critique.
L’art, passerelle ou miroir ?
Au-delà de l’exposition, la Semaine a proposé une programmation dense : conférences, ateliers de gastronomie, performances musicales, débats littéraires, dans une atmosphère où le flamenco côtoyait les sons traditionnels camerounais. Son Excellence Ignacio García, ambassadeur d’Espagne au Cameroun, s’est fait l’hôte chaleureux d’un événement aussi festif que réflexif.
Cette 21e édition de la Semaine Culturelle Espagnole a posé des questions essentielles :
Comment sortir d’une logique d’hommage unilatéral ?
Peut-on bâtir des ponts culturels équitables, sans que l’un domine l’autre ?
Et surtout, que signifie créer en Afrique aujourd’hui, entre héritages douloureux et libertés nouvelles ?
À Yaoundé, cette semaine-là, l’art n’a pas seulement parlé. Il a questionné, dialogué, répondu. Et cette réponse, loin d’être un simple écho, résonnait comme une affirmation puissante : l’Afrique ne cherche plus à être reconnue. Elle crée, elle inspire, elle s’impose.
Elsa Daniele Monti