Le 31 mai 2025, le journaliste et écrivain Junior Haussin présentait à Douala son nouvel ouvrage, Je suis Nègre mais les Noirs ne m’aiment pas. Dans cette oeuvre constructive , il interroge le rejet de la peau noire au sein même des communautés africaines. La rédaction de SCN s’est entretenue avec l’auteur .

Votre titre est assez provocateur. Quelles expériences ou réflexions personnelles vous ont conduit à écrire Je suis Nègre mais les Noirs ne m’aiment pas ?
Il s’agit plus d’une réflexion autour d’une perception que nous observons en Afrique noire. Et bien évidemment, c’est une réflexion romanesque autour d’une notion développée au Cameroun qui se vit au quotidien, il s’agit du djangsang qui est le blanchiment de la peau . On observe qu’en Afrique noire, les personnes à la peau noire arrivent à s’insulter, à se dénigrer, à se rejeter entre elles en fonction de leur dégré de pigmentation . Donc on est carrément passé du colorisme, du racisme, à ce que nous avons appelé aujourd’hui: Le négrofolisme ou la négrofolie. Cette manière de voir et de vivre dans la société fait qu’ il y a des frustrations qui existent dans nos communautés noires, des frustrations dont sont victimes les personnes au teint noir.
Dans votre livre, vous abordez la question de l’identité noire avec une tonalité critique. Quel regard portez-vous sur les dynamiques internes aux communautés noires aujourd’hui, notamment en Afrique?
Nous devons plutôt rester dans notre champ d’experimentation qu’est l’Afrique noire. Et justement en Afrique noire, nous observons au sein de ces communautés noires une sorte de classification des personnes en fonction de leur dégré de teinture corporelle. on voit qu’il existe en Afrique noire , des noirs au teint brun , ensuite des noirs au teint clair , vient maintenant des noirs au teint chocolat et enfin des noirs au teint noir foncé. Voilà une classification qui s’est développée naïvement et qui aujourd’hui entraîne une certaine frustration. Ainsi les premières catégories ont tendance à se sentir supérieures et plus avenantes que la dernière catégorie. C’est-à-dire qu’en Afrique noire au sein des communautés noires, plus vous êtes clairs de peau, plus vous êtes adulés, célébrés, sollicités, donc vous paraissez plus beaux.

Et plus vous avez un teint noir foncé , il y’a de forte chance que l’on vous critique, vous insulte en fonction du dégré de votre pigmentation, du niveau de votre teinture de peau , les albinos en souffrent voyez vous mais là c’est un autre sujet. C’est une frustration , devenue véritable problème de société qui a encouragé le blanchiment de la peau chez les uns et les autres en Afrique noire. ce qui est devenu un mode de vie pour fuir cette frustration : Faire le Djansang pour plaire aux autres et fuir la moquerie.
Il y’a d’autres causes qui justifient le blanchissement de la peau au Cameroun ou en Afrique noire en général Mais nous constatons que cette classification mentionnée tout à l’heure est également à l’origine de la prolifération du DJANGSANG dans notre communauté noire en Afrique noire.
Pensez-vous que le rejet ou le manque de solidarité entre Noirs soit un héritage colonial ou le résultat de nouveaux mécanismes contemporains ?.
À cette troisième question nous parlerons beaucoup plus du rejet du teint noir dans les communautés noires en Afrique noire. Et donc le complexe du teint clair dans les communautés noires en Afrique noire. Dans le roman , l’histoire d’Asakya, de Mabanckou et d’Etia albinos illustre très bien cela. En le lisant vous verrez par Vous même.
Quelle a été la réception de votre œuvre jusqu’ici ? Avez-vous été soutenu, critiqué, ou même censuré dans certains cercles ?
Le 31 mai dernier à Douala au Cameroun, le sujet a été bien accueilli par les nombreux invités venus à la dédicace spéciale organisée par la maison d’édition Eclosion qui d’ailleurs ouvrait ses portes dans la ville de Douala. C’est un sujet qui a créé , beaucoup de commentaires. Il y a eu beaucoup d’émotions autour de ce roman .
Les gens se sont rendus compte que le blanchiment de la peau est un véritable problème en Afrique noire dans les communautés noires et qu’il faudrait de plus en plus chercher à valoriser le teint noir pour garder notre identité . Il a également été observé qu’ à côté de ce complexe du teint clair, il y a quand même , des hommes et des femmes qui se battent au quotidien pour garder leur naturel. Ça existe! C’est un sujet qui a été bien accueilli et qui , je crois ma foi , fera carton , dans les milieux scientifiques, dans les milieux universitaires et du business de la cosmétique car c’est un sujet de réflexion, un roman , qui ne s’arrête pas au simple fait de l’imagination mais traite d’ un problème réel et sérieux : Le Djansang qui est le fait de se blanchir le teint.
Que souhaitez-vous provoquer chez vos lecteurs à travers ce livre : une prise de conscience, une révolte, un débat ? Et comment poursuivez-vous cette démarche dans vos autres projets littéraires ou journalistiques ?
Nous pensons provoquer un véritable tsunami mental, un véritable bouleversement de mentalité, nous pensons que dorénavant, les noirs auront une façon de se regarder entre eux. Je parle des noirs à la peau noire, en Afrique noire, dans les communautés noires. Ils auront une façon de se regarder entre eux, une façon de respecter leur teint noir, de respecter la peau noire et de la défendre. Et si on a longtemps combattu le racisme, longtemps combattu le colorisme, il n’est donc pas question d’encourager la négropholie, le négrofolisme entre nous ici en Afrique noire. il n’est pas question de se laisser emporter par une critique quelconque sur notre teint , il n’est pas question de laisser prospèrer le rejet du teint noir. Il n’est pas question de se laisser envahir par le complexe du teint clair dans les communautés noires. C’est pas possible. Il faut vraiment que cela change!
Bien évidemment, ça sera tout un débat autour du roman. Dans nos autres projets littéraires et journalistiques, nous ambitionnons d’inviter avec force les médias à s’intéresser à ce sujet, que les médias puissent créer des discussions autour de celui ci.
En bonus pour répondre à l’ensemble de vos questions, le titre est suffisamment évocateur et provocateur. JE SUIS NÈGRE MAIS LES NOIRS NE M’AIMENT PAS , C’est dire qu’aujourd’hui le noir foncièrement noir, véritablement noir en Afrique noire, le noir qui s’identifie comme tel ici et ailleurs , est victime du fait qu’il accepte d’être noir et d’être suffisamment noir. Il ne suffit donc plus d’être noir de peau pour être africain il faut beaucoup plus. Car ce sont les autres noirs qui nous reprochent de vouloir être noir et ça c’est un réel problème.
Tant qu’on ne s’accepte pas soi-même, tant qu’on ne sait pas d’où vient, il sera difficile d’être fort à l’extérieur.